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Ils arrivent sur les premiers secteurs pavés, après 150 km déjà parcourus depuis Compiègne. Jusque-là, ça ressemblait à une promenade de santé par rapport à ce qui les attend. Ils doivent être un peu fous, ils ont peur et ils ont hâte. Devant eux, les premiers secteurs pavés qui se rapprochent. Le début de l’Enfer. Le « peuple du vélo » les attend dans les différents villages traversés.


Eux, c’est à peine s’ils vont les voir. « Si tu les vois, c’est que tu es tombé », déclara un jour le Belge Johan Museeuw, triple vainqueur et auteur d’une des plus belles gamelles de l’histoire de la tranchée d’Arenberg.


Bienvenue à Paris-Roubaix. Cette course, Antoine Blondin, la plume la plus brillante de l’histoire du vélo, la résumait ainsi : « Une course qui parle d’abord de douleur ».


La douleur, « celle qu’on oublie que quand on gagne », selon Gilbert Duclos Lassalle, ce mot revient dans toutes les bouches des anciens coureurs que nous avons eu le bonheur de rencontrer. Ceux qui ont la parole ici sont les trois derniers vainqueurs français d’une épreuve qui se refuse à son pays depuis près de 20 ans.





































Le dernier en date, Frédéric Guesdon, vainqueur en 1997, a droit chaque année à son tour des médias : « Je m’y suis habitué hein, même si j’espère que ça va bientôt s’arrêter et qu’on va retrouver un Français. Mais ça montre à quel point cette course est particulière. On ne parle pas chaque année du dernier vainqueur français d’une autre course, à part le Tour de France bien sûr ».


Sauf que contrairement au Tour, Paris-Roubaix, c’est l’histoire d’un jour. Sous un soleil radieux ou des hallebardes, évidemment le scénario ne sera pas la même. Mais la passion, elle, sera toujours là :  « C’est un des moments les plus particuliers de la saison, une course vraiment atypique », souligne Marc Madiot, le seul homme à avoir gagné Paris-Roubaix comme coureur (1985 et 1991) puis comme directeur sportif avec Fred Guesdon.


Madiot le Breton qui cochait cette course en premier dans son calendrier chaque année. « Cette course est spéciale, c’est un peu bête de dire ça mais tu ne la gagneras que si tu as envie de t’y frotter. Tu peux avoir peur… mais tu n’iras sans doute pas au bout ».


La peur de tomber, de se faire mal, de ne pas voir le Vélodrome, elle a étreint tous les coureurs qui s’y sont frottés. Gilbert Duclos Lassalle a participé à 17 Paris-Roubaix. Lors de son premier, en 1978, son coéquipier Jean-Pierre Danguillaume lui met la pression : « Il m’a dit : ‘C’est la plus grande, petit. Si tu arrives trop tard, le Vélodrome sera fermé’. J’avais la trouille.  Je ne voulais pas connaître ça. Quand j’y suis arrivé (il termine 28e), je l’ai croisé et il m’a dit : ‘Tu fais partie des grands de Roubaix’. À partir de là, ma seule obsession c’était de la gagner. »

Chaque année, des dizaines de médias venus du monde entier affluent vers Roubaix pour assister à la classique du Nord, l'une des courses les plus suivies au monde, derrière le Tour de France notamment. 

1993 : Gilbert Duclos Lassalle, d’un boyau 

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Depuis 1967, le Vélo Club de Roubaix a voulu donner la chance aux plus jeunes coureurs de découvrir la réalité du Paris-Roubaix avec une course destinée aux espoirs. Un apéritif pour certains qui rêvent ensuite de la vivre avec les grands comme Florian Sénéchal, le Cambrésien de Cofidis. Après l’avoir remporté en junior en 2010, il avait terminé neuvième chez les Espoirs en 2012. Depuis c’est « sa » course : « C’est la course que je préfère. L’avoir gagnée et disputée chez les jeunes, ça donne envie de la voir en grand. Mais il faut d’abord acquérir

de l’expérience pour bien y figurer ».






















La chance de Sénéchal est d’y avoir déjà brillé et d’avoir passé l’échelon pro. D’autres attendent encore leur tour et ont connu la cruauté de l’Enfer du Nord. Florian Deriaux, coureur de 24 ans, est toujours amateur au sein de l’équipe de l’EC Raismes. Il a participé au Paris-Roubaix espoir en 2012 : « Avant d’y aller, on est excités, on se prend pour des pros. C’est une course magique dans la vie d’un coureur cycliste. C’est une classique où tous les grands se sont illustrés, tous ceux qu’on veut imiter », confie ce grand fan de Fabian Cancellara.


Deriaux y a pourtant connu l’enfer : « Tout se passait très bien, j’étais dans le groupe de tête. Et puis ensuite j’ai enchaîné les crevaisons. Je me retrouve derrière le peloton et juste avant un secteur pavé alors que j’allais faire la jonction, deux voitures de directeur sportif m’ont bloqué et j’ai chuté ». Bref un concentré de tout ce qui peut arriver dans cette course. Mais pas de quoi lui gâcher l’envie d’y regoûter : « C’est tellement impressionnant, il y a une telle ferveur. Aucun scénario n’est écrit. C’est magique ». 

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Vainqueur l’année précédente, Gilbert Duclos Lassalle réalise le doublé à Roubaix en 1993 et devient à 39 ans le plus vieux coureur de l’Histoire à remporter la classique. Le Français va devancer sur le Vélodrome l’Italien Franco Ballerini de quelques centimètres. Il faudra d’ailleurs plusieurs minutes aux commissaires de courses pour annoncer officiellement sa victoire. Duclos, dont le surnom « Gibus » est aujourd’hui rattaché à un secteur pavé du parcours,  nous raconte le finish de cette journée et la tactique mise en place pour battre l’Italien. 

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C'est l'un des endroits les plus légendaires la course : les douches du Vélodrome de Roubaix qui accueillent chaque année les coureurs juste après leur arrivée et sont souvent le lieu où l'on refait la course. 

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La folie, chaque année,  n’est pas que sur les vélos. Elle est au moins aussi présente sur le bord des routes. Des dizaines de milliers de supporters s’y massent, venus aussi bien de France que d’Angleterre et surtout de Belgique. La passion flamande n’est pas une légende. Paris-Roubaix vient s’inscrire dans la grande tradition des courses flandriennes, une semaine après le grand Tour des Flandres.

 

Le rendez-vous incontournable, c’est évidemment le long des secteurs pavés. Avec deux « spots » privilégiés : Arenberg et le Carrefour de l’Arbre. Ça sent la bière et l’animal, le carnaval et la roublardise. « C’est l’un des deux trois rendez-vous incontournables de l’année », explique Wilfried, 45 ans, 20 Paris-Roubaix derrière lui et une admiration sans limite pour Tom Boonen, le recordman des victoires (avec un autre Flahute, Roger de Vlaeminck). « On peut prendre chaque année une semaine de congès pour ne rien rater de la semaine qui mène du Tour des Flandres au Paris-Roubaix ». Une semaine de fête, rythmée à chaque extrémité par les deux courses les plus attendues de l’année.

 

Sur les deux secteurs clés, les conditions de sécurité ont été largement renforcées ces dix dernières années pour éviter les débordements face à une foule de plus en plus nombreuse. En 2014 sur le Tour des Flandres, une spectatrice a été percutée par le coureur belge Johan Van Summeren. Le genre de drames que tout le monde veut éviter : « C’est la course la plus stressante de l’année, disait l’an dernier Jean-François Pescheux, directeur du Paris-Roubaix. Tant qu’on est pas sur le Vélodrome, on n’est pas tranquille ». 

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Une idée de l'ambiance qu'on peut observer chaque année sur les routes de Paris-Roubaix qui rassemblent des supporters venus de nombreux pays et qui rêvent de voir leurs idoles. 

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C’est le secteur pavé le plus célèbre du Paris-Roubaix et pourtant personne ne le connaissait jusqu’en 1968. La mythique tranchée d’Arenberg qui a fait la légende de la course a en effet été découverte à l’époque par le coureur nordiste Jean Stablinski, vainqueur du Tour d’Espagne en 1958. C’est lui qui proposa aux organisateurs d’emprunter la drêve des Boules d’Hérin, située à la sortie d’Arenberg, juste en face de l’ancien site minier (aujourd’hui communauté d’agglo). « Je ne l’ai emprunté qu’à une seule reprise en 1968 et à la fin j’avais peur de prendre mes douches car je pensais que les autres allaient vouloir me frapper », dira un jour Jean Stablinski, disparu en 2007.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De fait la ligne droite (légèrement descendante) de 2,4 km de la tranchée est un point névralgique de la course. Le peloton y arrive généralement groupé et s’enfonce à pleine vitesse dans ce corridor d’à peine trois mètres de large, encerclé par une horde de supporters (souvent flamands). Personne n’y a jamais gagné la course mais nombreux sont ceux qui l’ont perdue. 

Quand Jean Stablinski

(re) découvre la tranchée d’Arenberg 

A l'occasion de l'inauguration d'une stèle dédiée à Jean Stablinski, Jean-Marie Leblanc, ex directeur du Tour de France et de Paris Roubaix rendait hommage au "découvreur" de la Tranchée d'Arenberg. 

Plongée dans la tranchée d'Arenberg, un jour de Paris-Roubaix à la découverte des nombreux supporters venus assister à la course et faire la fête. 

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Depuis 1977, l’association des Amis de Paris-Roubaix travaille dans l’ombre de l’épreuve pour permettre à l’Enfer du Nord de le rester. Cela paraît peu probable aujourd’hui mais la création du groupe correspond à l’époque à une situation d’urgence. François Doulcier, l’actuel président raconte : « À l’époque, Jean-Claude Valleys qui était président du Vélo club de Roubaix travaillait en collaboration avec les organisateurs. Le patron de l’époque, Albert Bouvet a tiré la sonnette d’alarme en expliquant que trouver des secteurs pavés devenait de plus en plus compliqué et que la course pouvait être en danger ».

 

Les pouvoirs publics de la fin des années 70 n’ont que peu de considération pour ces secteurs pavés difficilement empruntables par les voitures. Et le macadam coule à flot. L’édition 77 est aussi « un electrochoc » : « Le Belge Roger de Vlaeminck s’est imposé pour la quatrième fois mais ce qu’on a oublié, c’est qu’il s’est échappé d’un peloton de 25 coureurs à

20 km de l’arrivée, poursuit François Doulcier.

Paris-Roubaix ce n’est pas ça ». Plutôt une course de sélection, où les coureurs tombent comme des mouches. Grâce, bien sûr, aux pavés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors Jean-Claude Valleys prend le taureau par les cornes et va créer l’association des Amis de Paris-Roubaix. Le début d’un long travail de sape, de lobbying auprès des différentes collectivités locales pour permettre de préserver et de trouver de nouveaux secteurs pavés qui viendront servir le parcours chaque année. La prise de conscience a lieu, et plusieurs travaux sont effectués, notamment dans les années 90.

 

Pour poursuivre l’effort et son engagement, l’association va au début des années 2000 intervenir encore plus directement. Par le biais d’une convention avec les lycées horticoles de la région, elle rénove chaque année plusieurs secteurs. « On leur montre comment pratiquer leur métier et ils nous aident à avancer plus vite, explique François Doulcier. Cette convention nous a permis d’être encore plus réactifs et d’agir chaque année sur la plupart des endroits importants du parcours ». Et permettre ainsi à la légende de perdurer… 

Rénovation des pavés, chaque année un travail de longue haleine

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Il y a 28 secteurs pavés chaque année sur la course

L'association des amis de Paris-Roubaix rénove le secteur pavé de la Croix Blanche situé à Mons-en-Pévèle

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Les anges gardiens des pavés 

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Espoirs et désespoir

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Bientôt un musée à Roubaix ? 

Préserver le patrimoine du Paris-Roubaix, ce n’est pas seulement réparer des pavés. Depuis quelques années, l’association travaille sur un autre grand projet : l’ouverture d’un musée dédié à la reine des classiques. Dans ses locaux du Vélodrome de Roubaix, l’asso possède en effet des dizaines de documents qui retracent l’histoire de la course : « On a quasiment tous les directs télévision des courses depuis l’après guerre, souligne François Doulcier. On a beaucoup de Unes de journaux, des photos, etc. ».























Depuis la fin de l’année 2014, le projet prend corps avec la mise à disposition par la mairie de quatre salles situées près de l’ancien Parc des sports. Près de 100 m2 y sont disponibles pour accueillir les trésors récoltés. Un dossier de financement est actuellement en montage (on parle d’environ 70 000 euros de budget). La future structure pourrait prendre le nom du fondateur de l’association, Jean-Claude Valleys. 

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1912 :

Crupelandt, le Roubaisien 

1896 : Fisher,

le précurseur 

19 avril 1896, c’est la première édition du Paris-Roubaix. Rien à voir évidemment avec la grande course actuelle et créée la même année qu’une autre classique française, Paris-Tours. Au départ, ils sont 51 coureurs engagés, dont 47 professionnels. On trouve notamment le Maubeugeois Maurice Garin, futur vainqueur du premier Tour de France en 1903 et double vainqueur de Paris-Roubaix. Mais cette année-là, c’est un Allemand qui s’impose sur les pavés : Josef Fisher devient pour l’éternité le premier à remporter le classique nordiste. 

C’est le seul natif de Roubaix à l’avoir emporté chez lui. Charles Crupelandt a gagné deux fois Paris-Roubaix, en 1912 et 1914 juste avant la Guerre qui allait lui faire perdre beaucoup, notamment une carrière qui s’annonçait si brillante. Il en revient décoré mais blessé et sans le sou. Un vol de cuivre lui valut une suspension à vie des courses cyclistes professionnels et une fin de vie très difficile. Mais pour le symbole, il vint se glisser en 1923, sans dossard officiel, dans la course qu’il termina avec les hommes de tête. 

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1981 : Hinault « Paris-Roubaix, c’est une connerie »

En 1981, Bernard Hinault est le meilleur coureur du monde. Il a déjà remporté deux Tours de France, il s’apprête à en remporter une troisième et  à devenir champion du monde. Il est capable d’écraser une course à lui tout seul. Paris-Roubaix en revanche se refuse à lui et lui ne cache pas qu’il n’aime pas cette course. Trop dangereuse, trop incertaine. Pourtant après trois tentatives, Hinault décide de gagner en 1981. Il devance sur le Vélodrome de Roubaix deux purs spécialistes, Roger de Vlaeminck et Francesco Moser, vainqueur des trois éditions précédentes. A peine franchie la ligne d’arrivée, « Le Blaireau » lance : « Cette course 

est une connerie ». 

1996 : 

le triplé

des Mapei

C’est sans doute l’édition la plus controversée de l’histoire. Pas de bol, c’était à l’occasion du centième anniversaire. En 1996, trois coureurs de la même équipe débarquent ensemble sur le Vélodrome de Roubaix. C’est la Mapei, une des formations les plus fortes des années 90 qui écrase les classiques, dirigée d’une main de fer par le Belge Patrick Lefévère. Trois de ces coureurs, Johan Museeuw, Gianluca Bortolami et Andrea Tafi, échappés depuis 80 km, vont s’affronter pour la victoire… Enfin pas vraiment. Le directeur sportif a décidé de l’ordre avant l’arrivée sur le Vélodrome qui se transforme en tour d’honneur : le Belge gagne devant les deux italiens qui auraient même pu être trois car Franco Ballerini, qui crève à quatre reprises, devra se contenter de la... cinquième place.

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TEXTES ET COORDINATION

Sébastien Noé



REPORTAGES VIDEO

Stéphanie Bara, Bruno Masseboeuf



PHOTOGRAPHIE

Didier Crasnault,  Bruno Fava, Jean-Pierre Filatriau, Ludovic Maillard,

Stephane Mortagne, Patrick Delecroix, Philippe Pauchet,

AFP, archives



DIRECTION ARTISTIQUE

Quentin Desrumaux



DIRECTION DE LA REDACTION

Jean-Michel Bretonnier

UN GRAND REPORTAGE





En partenariat avec










Découvrez notre dossier spécial Paris-Roubaix

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Cela fait désormais 18 ans qu’aucun Français n’a remporté Paris-Roubaix. Une éternité pour un pays qui, s’il reste loin des scores de la Belgique a inscrit 28 fois son nom au palmarès. Pire encore, rares sont les tricolores qui ont pu espérer décrocher la victoire ou un podium. « Il n’y a pas de raisons que ça ne revienne pas, assure Marc Madiot. J’espère bien que ce sera un de mes coureurs ».


Lui qui avait accompagné, en tant que directeur sportif, Frédéric Guesdon en 1997 pense par exemple au Picard Arnaud Démare qui a souvent répété qu’il n’avait « pas peur des pavés ». Le mental des coureurs français pour ce genre de courses a souvent été mis en défaut : « Si tu n’as pas envie, tu ne gagnes pas cette course, assure Marc Madiot. J’ai vu des coureurs qui avaient toutes les qualités pour remporter Paris-Roubaix mais qui ne ‘voulaient’ pas se dépasser. »

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La nouvelle génération française, de Démare à Bouhanni en passant par le Nordiste Sénéchal, ne manque pas de talent. Mais ils sont encore jeunes. Et sauf à être une machine de guerre comme Boonen ou Cancellara, dompter les pavés demande de la patience : « J’étais sans doute plus fort dans les années 80. En 1983, je suis même élu meilleur coureur français devant Bernard Hinault, raconte Gilbert Duclos Lassalle. Pourtant, j’ai attendu longtemps pour gagner. Il faut grandir, avoir un peu de chance et maîtriser les événements. Quand je repense à mes premières courses, j’étais fort mais je sais exactement les erreurs qui m’ont empêché de gagner ». 

La malédiction française ? 

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Vidéo réalisée par le Conseil régional

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